Les voix du ciel

Sylvie Asselin

Lorsque les voix du ciel se manifestent nous ne contrôlons plus rien. On se laisse guider par la vie elle-même. L’instant présent se déploie dans toute sa grandeur. Chacune des secondes semblent porter en elles l’éternité. Le cœur de l’être cher bat son dernier tempo.

La dernière année vient d’être étiquetée souvenir. Nous sommes tous confrontés au cycle de la vie et bien que notre tête sait que le départ de nos parents est imminent, nul n’est vraiment prêt à vivre ce jour.  Il était un mari, un père et un grand-père. Un cheminement vécu en famille sur trois générations.

L’histoire se déroule sur un an presque jour pour jour. Je vous propose ce récit en trois temps pour faciliter la compréhension de la démarche intérieure que nous avons expérimentée. Une perception de la vie côtoyant la vision du concept de la mort. La fin de vie par laquelle nous franchirons les étapes du deuil une après l’autre. Un partage en toute simplicité du fait qu’il est possible de vivre le deuil sereinement et dans l’amour.

Au cœur de la tempête

C’est fou comme tout peut basculer en un rien de temps. Nous sommes le 20 août 2016, le Salon International du Mieux-être de Lévis ouvre ses portes dans quelques heures. Trois magnifiques et intenses journées qui débutent le vendredi soir. Durant la journée, tout le monde s’installe, décore avec enthousiasme leur kiosque afin de bien recevoir les gens. La frénésie s’empare de nos cœurs puisque pour nous qui sommes exposants, c’est un moment de retrouvaille, une rencontre annuelle fort bien appréciée. L’ouverture du salon se passe dans la joie et l’accueil de chacun. Discussions, échanges et partages remplissent la soirée jusqu’à la fermeture de 22h. J’ai décidé de dormir chez mes parents pour éviter un trajet trop long. Le temps de rentrer et de décompresser, je me couche vers minuit, satisfaite de cette première étape du salon sans me douter que dans trois heures à peine, je devrai me lever pour assumer une tempête qui me tiendra en haleine jusqu’au mardi midi suivant.

En effet, j’ai dû conduire mon père d’urgence à l’hôpital. Il s’en suivit de longues heures d’examens, d’attentes et encore d’autres examens. Un café par-ci par-là pour me tenir éveillée. Le jour se lève. Il est enfin stabilisé mais on doit attendre l’équipe de jour pour d’autres examens, les précédents n’étant pas concluants. Malgré tout, nous sommes choyés, médecin et infirmières œuvrent auprès de lui !

*Inspire, expire

Une chose trotte dans ma tête mêlée de cette inquiétude face à mon père: Je suis en congrès moi, j’ai à tenir kiosque! Que faire?

J’ai l’impression de passer un test! Toutes ces années de cheminement, d’enseignement aux autres, me bousculent intérieurement. Ai-je vraiment assimilé et intégré toute cette conscience de bien-être ? En bout de ligne et avec un peu de recul, je crois que oui! Les yeux fermés, je prends de bonnes respirations et j’écoute mon cœur battre. Son rythme me calme et me détends. Je réalise qu’en aucun temps, je n’ai cédé à la panique. Les décisions se sont prises dans l’instant présent, l’une après l’autre dans une clarté indéniable. Les alternatives se sont présentées comme des avenues logiques dans ma tête.

La première de toute m’a surprise mais elle résonnait tellement fort en moi.

-*Je devais me permettre de me choisir au détriment de l’engagement préalablement pris, en l’occurrence le congrès!

C’est ainsi que je contactai la responsable du salon pour l’informer de la situation et pour l’aviser que je serais en retard au kiosque. Belle surprise, la grande dame de cœur qu’est madame Thérèse Gagnon (directrice du Salon) s’empresse de me répondre de me concentrer sur ma famille et de ne pas m’inquiéter pour mon kiosque.

Finalement, je me présente au Salon vers 15 heures. Je suis accueillie avec chaleur et empathie par mes voisins de kiosque. Malgré la fatigue, je reçois les gens tant bien que mal. Je fais de mon mieux pour rester alerte et disponible. Le Salon termine sa deuxième journée vers 19 heures et je file droit à l’hôpital. À mon grand étonnement, mon père n’est plus à l’urgence. On me donne un numéro de chambre à l’étage, force de constater que la chambre est aussi vide.

Une fébrilité monte, mon ressenti se confirme, il est au bloc opératoire! Je retrouve ma mère recroquevillée dans un petit coin isolé, tentant de récupérer un peu de sommeil. Cette longue journée du samedi se termine vers 22 heures. Mon père est maintenant à sa chambre, on le quitte rassurées. On retourne enfin à la maison dormir!

-*Savoir demander de l’aide.

Dans ce brouhaha, j’ai pris le temps de contacter ma sœur. Bien qu’elle réside à l’extérieur, elle s’est empressée de faire trois heures de route pour prendre la relève en ce dimanche.  Ainsi, j’ai pu me rendre au congrès pour clore cette dernière journée de Salon avec l’esprit tranquille.

-*Remercier le retour du soleil après la tempête.

J’ai vraiment l’impression d’avoir passé au travers une tempête. Tout s’est passé très vite, évidemment pour le mieux puisque l’on s’est occupé de lui. Je me suis ajustée au fur et à mesure tout en supportant aussi ma mère. D’ailleurs, chapeau à Maman! Nous formions une merveilleuse équipe, regard complice, clin d’œil entre nous, nous traversions ce tourbillon de prises de décisions sans le temps de se questionner, on agissait!

tenir la main

Oui, nous avons les yeux cernés! Nous en aurons encore pour quelques jours à récupérer mais nous le ferons avec sérénité car nous avons la certitude qu’un étoile veillait sur nous et qu’elle le fera encore. J’avais tout le support moral de l’équipe du Salon qui, l’un après l’autre sont venus me témoigner leur amour et leurs pensées envers mon père.

Ironiquement, mon père qui a dépassé de quelques poussières les 81 en âge, est venu faire sa visite annuelle au Salon le vendredi soir avant d’entrer à l’hôpital. Heureux de visiter mon kiosque et de me taquiner pour ensuite continuer la visite avec maman.

Le soleil est de retour dans notre quotidien, les journées ont repris leur tempo. De la gratitude envers la vie, oui, j’en ai!

Ombre au tableau

La convalescence de son opération se passe bien. Mon père a le cœur solide. Il accepte avec enthousiasme les soins que je lui propose pour accélérer son rétablissement. Au fil des semaines les résultats des examens antérieurs entrent un à un. Un nuage passe, une ombre s’installe dans les pensées et le diagnostique est prononcé; un cancer du poumon avancé. Bien qu’un certain doute planait depuis quelques temps, la nouvelle ébranle et choque. Je ne sais si c’est l’âge, le vécu ou tout simplement la sagesse, probablement et certainement un mélange de tout ça, mon père a réagi avec une sérénité désarmante. Il s’est mis à faire le constat de sa vie entière, il énumérait tous ses rêves réalisés et partageait une conviction profonde du sentiment d’accomplissement. Il se disait prêt à partir.  Une phrase qui résonne encore dans ma tête. Étais-je prête à lui dire au revoir pour toujours ?!

J’ai la chance d’avoir encore mes parents. Nous sommes proches les uns des autres et nous savourons les moments que nous partageons. Nous avons toujours fait en sorte que les « j’aurais donc dû! » n’existent pas. Vous devinerez que les jours, les semaines et les mois qui ont suivi ont triplé en profondeur. Mon père incarnait le lâcher prise sans pour autant avoir abandonné l’espoir de vivre quelques années de plus. Il s’alimentait correctement, prenait soin de marcher à l’extérieur pour prendre de bonnes bouffées d’air tout en suivant ces traitements médicaux. Lui-même franchissait les étapes du deuil dans son quotidien. La baisse d’énergie, le ralentissement des activités, les effets secondaires de la médication et l’apprivoisement graduel du départ à venir.

Et puis ses croyances spirituelles se sont intensifiées. Un homme de cette génération prie le bon Dieu et demande le pardon pour ses écarts. Il demande la grâce divine pour s’être enfargé à quelques reprises et échange avec l’abbé pour apaiser ses inquiétudes.

Les petits enfants tiennent absolument à visiter leur grand-père le plus souvent possible. Des moments mémorables autour d’une table à faire des casse-têtes en silence. Non pas un silence vide mais tellement riche en présence et en complicité. De toute beauté à vivre, des instants de bonheur simple, des fous rires aux larmes salées accompagnés de crampes abdominales. Chacun sait que ces instants sont uniques et le resteront au vrai sens du terme.

Sylvie A. Papa

J’admire la force tranquille qui habite mon père. Jamais son attitude a pris le visage de la révolte ou de la colère. La vie suit son cours tout en conscience et dans l’amour. J’ai vu mes parents cheminer main dans la main, s’accrocher l’un à l’autre comme jamais. Leur complicité amoureuse nous touche droit au cœur. Ils sont beaux à voir. En quelque sorte, ils nous permettent de se réconcilier avec l’amour.

L’éventualité du départ se rapproche, il entre à l’hôpital et ne ressortira pas par la même porte. Lui-même est dans la gratitude envers le personnel soignant, il conserve son humour entre deux grimaces de douleur. Un personnage coloré et attachant, mon père attire la générosité. Accompagner l’être cher dans ses doutes, ses craintes et ses questionnements demandent beaucoup d’énergie. Un sentiment d’impuissance grandissant à tenter de répondre à ses besoins dans l’instantané, rire et pleurer à la fois, parler de la mort comme on planifie un voyage pour un pays lointain. Dire je t’aime, je suis là, je ne pars pas tant que tes yeux seront ouverts. Le dorloter, améliorer son confort et passer le plus de temps possible avec l’être cher. Puisque du temps, il n’y en a plus. Les heures sont comptées.

Un cadeau de vie

Papa nous a offert un merveilleux cadeau de vie… l’acceptation. Réaliser ses rêves en toute simplicité. Vivre sa vie, la célébrer dans tous ses revers, sans regrets jusqu’au bout, jusqu’au dernier souffle partagé avec les fidèles de son coeur.

L’acceptation de la fin de son parcours terrestre, lui a permis d’accueillir tout l’amour qui lui a été manifesté par son entourage. Le coeur comblé, il nous a quitté en toute sérénité sous un magnifique couché de soleil. Nous l’avons accompagné dans ce passage vers l’autre réalité. En priant, en chantant une berceuse pour son âme et oui, nous l’avons vraiment ressenti partir. Il a quitté son corps physique tout en douceur et en paix. En aucun temps nous cherchions à le retenir. Au contraire, il méritait son envol. Il a tenu ma main tout au long de mes pas, j’ai tenu la sienne lors de ses derniers. Mais au fond qui tenait vraiment la main de qui ? Nous serons toujours l’enfant de quelqu’un et ce pour la vie.

Le 20 août 2017, un an plus tard, nous avons rendu hommage au passage terrestre de mon père. Nous avons été submergés par l’étreinte d’amour des gens présents. Soyez en convaincu, cet amour a soulevé l’âme de papa vers son retour à la source.

Au-delà des mots, un lien se créait lorsque l’on croisait son chemin. Et ce chemin aujourd’hui, s’illuminera à la lumière divine, il rayonne librement pour ce qu’il est devenu.

Avec amour Sylvie

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