Le midi de la vie est l’instant du déploiement extrême, où l’homme est entier à son œuvre avec tout son pouvoir et tout son vouloir, mais c’est aussi l’instant où naît le crépuscule.
Carl Gustav Jung
Au milieu de l’existence, le mitan est cette longue traversée du cycle de la vie, un «entre-deux» qui s’étend sur une période d’environ 25 ans, soit entre 40 et 65 ans, entre la jeunesse (adolescence et jeune adulte) et le début de la vieillesse. Pour la majorité des gens, il correspond à une période active sur les plans professionnel et social et, pour beaucoup, au temps de la construction d’une famille et de l’accompagnement des enfants jusqu’à leur vie de jeunes adultes. Le mitan se déroule approximativement en quatre temps: la transition vers le mitan, entre 40 ans et 45 ans; l’entrée dans le mitan, entre 45 et 50 ans; le cœur du mitan, entre 50 et 60 ans; et la sortie du mitan, entre 60 et 65 ans. À partir de 65 ans, la «vieillesse» commence. Ces âges chronologiques du mitan ne sont que des points de repère dans le grand cycle de vie d’une personne, et non des dates précises auxquelles les changements et les nouveaux comportements surviennent. Les spécialistes ne s’entendent d’ailleurs pas exactement sur ces âges, à quelques années près, mais ils s’entendent toutefois sur ce qui s’y passe pour la plupart des gens, malgré leurs différences individuelles.
Dans mes chroniques précédentes, j’ai raconté brièvement l’histoire de James qui, à 39 ans, ne savait pas encore ce qu’il allait faire de sa vie d’adulte autant sur le plan professionnel qu’affectif. Je me sens comme un adolescent disait-il. Tout était à construire. Aujourd’hui, c’est Clara qui nous parle. À peine la quarantaine dépassée, contrairement à James, elle a déjà tout accompli, au prix de nombreux sacrifices. Elle est même prête à tout remettre en question, une réaction normale au milieu de la vie. Écoutons ce qu’elle nous dit sur les bouleversements de son mitan.
Il y a deux ans je m’interrogeais sur ce qu’est l’état d’adulte. La réponse est moins claire qu’elle n’y paraît: l’adulte fait ce que les adultes font dans «l’imaginaire collectif». Ils travaillent, élèvent des enfants, prennent des engagements et s’y tiennent. Mais comment en arrive-t-on là? Enfant un jour et, le lendemain (nous semble-t-il, tant le temps passe vite), on fait tout ce que font les adultes et il faut se rendre à l’évidence: on en fait partie!
J’ai eu beaucoup de chance: famille aisée, études réussies, conjoint choisi pour ses compétences et ses convictions autant que par amour, choix de vie concerté, efficace et pas de gros ratés qui retardent les «échéances» de la vie. J’ai eu mon premier enfant avant 30 ans et mon dernier avant 40 ans, un parcours statistiquement normal que j’ai réussi à combiner avec mon parcours professionnel.
Est-il possible de mener, comme un homme, une carrière et une vie familiale équilibrées, sans tensions ni souffrances, sans sentiment d’abandonner constamment soit les enfants, soit le boulot, et sans conflit latent avec son conjoint? Pour l’instant, ma réponse est non! Pas sans souffrances ni conflits!
D’où vient alors ce flot d’énergie qui m’entraîne?
Est-il enfin réalisé ce rêve d’enfant, ou pas? Mari, enfants, métier, maison… Pourquoi cette nostalgie et ce comportement à risque? Pourquoi vouloir vivre autre chose que «mon rêve d’enfant réalisé».
Faux rêve, fausses ambitions, envie du grand amour. Quitte à tout casser autour de soi? Jusqu’à présent aucun garde-fou ne m’a retenue, comme un flot d’ampleur inégalée qui s’échappe de moi et embarque ma vie vers un futur inconnu et dévastateur. D’où vient ce flot d’énergie contenue?
Énergie contenue, c’est peut-être ça le problème. Trop de retenue, comme le barrage et l’eau qui monte, monte, monte. Trop de retenue. Mais tout lâcher, ce n’est pas sérieux. Transformer cette énergie, toute potentielle, en travail. Créons au lieu de détruire, canalisons, sublimons.
Vivre une romance à 40 ans, vieillir… Peur, pas peur?… Se poser la question, c’est y répondre… De là à accepter cette idée. Pathétique, non? Ce n’est pas juste une question de sexe, ce serait trop simple. C’est une question d’envie, de désir, de passion. C’est dans la tête plus que dans le corps.
«Le mitan, c’est un peu comme la mi-temps d’un match durant laquelle on fait le point et on reprend des forces avant de s’élancer de plus belle dans la suite de la partie. »
Le terme mitan est utilisé couramment, mais on emploie aussi ses synonymes: midi de la vie, milieu de l’âge, été de la vie, bel âge, force de l’âge, âge mûr, tournant de la vie, tournant de l’âge, entre deux âges et mi-vie. J’ai opté pour «mitan» parce que ce terme est plus court, mais surtout parce qu’il illustre bien cette transition entre deux grandes étapes de notre vie: la jeunesse et la vieillesse. Le mitan est associé au processus d’individuation. Ce processus naturel nous pousse à nous libérer graduellement des attentes et des exigences de l’environnement social, familial, professionnel et parfois religieux , afin de devenir, comme je l’ai déjà mentionné, «Soi, en mieux que le Moi seul», en nous libérant notamment de certains masques et en permettant à des caractéristiques de notre personnalité reléguées dans l’ombre de se faire reconnaître et «entendre».
Comme chaque transition du grand cycle de la vie, le mitan apporte son lot de difficultés, de questionnements et de remises en question, de hauts et de bas entre euphorie et déception, de turbulences, avant de retourner, dans la majorité des cas, au calme et à l’équilibre. Comparativement aux autres transitions de la vie adulte, celle du mitan a cela de particulier qu’elle induit un désir irrépressible et urgent de renouveau. Parfois, elle en appelle carrément à une renaissance, tant sur le plan de l’identité (à l’intérieur de soi) que sur celui du mode de vie personnel et professionnel (à l’extérieur de soi).
Les défis psychologiques, sociaux et spirituels du mitan sont énormes. Le temps de remettre toute notre vie à niveau, nous devenons plus fragiles et plus vulnérables, et par conséquent davantage susceptibles de nous retrouver au cœur de tempêtes, et même d’une véritable crise.
À suivre. Existe-t-il vraiment une «crise» au mileu de la vie?
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