Suite à ma première chronique portant sur les créatifs culturels, je suis allée à la recherche de personnes qui adhérent totalement à cette philosophie. Pas des gens qui, comme moi, font des efforts, mais continuent à remplir leur bac de recyclage plusieurs fois par semaine et achètent, tout fait, et bien trop cher, tout ce qu’ils consomment. Le hasard a mis sur ma route Maggie D. Lépine. Elle m’a carrément donné un cours et une leçon… pour les nuls. Profitons-en!
Le monde qui meurt aujourd’hui est un monde prédateur qui n’a pas compris qu’il vivait en symbiose avec son environnement.
Pierre Radanne
Maggie, en quoi es-tu une créative culturelle (CC) ?
Comme bien des CC, je le suis depuis toujours, mais c’est seulement en 2013 que je l’ai réalisé en faisant des recherches sur Internet et après avoir acheté le livre « L’émergence des créatifs culturels » dont tu as parlé dans ta première chronique. Cette lecture fût une révélation et j’ai voulu faire connaître ce mouvement social si peu connu afin que les créateurs de culture québécois se reconnaissent et se rencontrent pour faire changer les choses plus rapidement. J’ai alors ouvert la page Facebook Les créatifs culturels du Québec (www.facebook.com/CreatifsCulturelsDuQuebec), mais cela n’a pas fonctionné comme je le souhaitais, probablement à cause de nos intérêts divergents. Tu l’as d’ailleurs écrit, chaque CC œuvre souvent en solo et se pense seul au monde, tout en partageant les mêmes valeurs et en poursuivant les mêmes objectifs que des centaines de milliers d’autres. Les CC forment pourtant, 35 % de la population des États-Unis, de l’Europe de l’Ouest et du Japon. Je n’ai pas de chiffres pour le Québec, mais je réalise que les choses sont en train de bouger.
Je ne suis pas devenue CC par nécessité, par manque de ressources ou pour suivre un courant qui semble être devenu une mode pour certains. Je suis une CC dans l’âme. À l’adolescence, je m’intéressais déjà à la disparition de la forêt amazonienne. J’ai aussi été bénévole pour Greenpeace. Mon métier est l’ébénisterie et, après avoir travaillé dans ce domaine pendant 10 ans, notamment pour Bombardier, j’ai choisi de me consacrer à ma famille, tout en contribuant à changer le monde à ma mesure par les connaissances que j’acquiers et transmets, et surtout par mon mode de vie. Cela semble un vaste programme, mais si chacun de nous s’y mettait, juste un peu plus, nous pourrions retarder ce point de non-retour annoncé, qui est plus proche que nous le croyons. Nous ne pouvons plus rester passifs et insensibles.
Comment vis-tu cela au quotidien ?
Je me forme aux modes de vie presque oubliés, par exemple, la transformation de la laine, depuis la tonte jusqu’au produit fini, notamment le filage et la teinture naturelle. J’ai suivi une formation en forêt nourricière et je m’initie à l’herboristerie de façon autodidacte. Je tisse, fais du crochet, fabrique mon pain, mon kombucha (thé sucré et fermenté), mon lessi (eau de lessive fabriquée avec une solution de cendre), mon savon, mes crèmes et je prends soin de notre potager et de nos poules. J’utilise évidemment des couches réutilisables pour mon bébé. Je fabrique aussi des vêtements, des souliers, des bijoux et des sculptures. Je gagne ma vie avec mes ateliers (savonnerie, tricot, montage de métier à tisser, filage au fuseau), la vente de ce que je fabrique et la gestion d’une petite garderie alternative.
Malgré toutes mes activités, je prends le temps de faire chaque chose sans courir, sans stress inutile. Je fais cela depuis bien longtemps, mais j’ai mieux compris pourquoi en lisant le livre de Carl Honore « Éloge de la lenteur ». L’auteur nous fait réfléchir sur cette tendance généralisée à sacrifier la qualité de notre vie quotidienne afin d’abattre le plus de tâches possibles et d’être performants partout : au travail, avec notre famille, nos amis, et même dans nos loisirs. Il propose de rééquilibrer la rapidité et la lenteur afin de rendre notre existence… plus riche.
En dehors de chez moi, je cherche à faire changer les choses par le projet des Incroyables Comestibles et de la Transition, même si, dans ma municipalité, Sainte-Sophie de Lacorne, toute tentative dans ce sens est sabordée.
De quoi s’agit-il ?
L’objectif du mouvement des Incroyables Comestibles (IC) est de créer l’abondance dans nos communautés, en cultivant des légumes partout où cela est possible et en invitant les gens à les entretenir et à les partager gratuitement. Au Québec, au moins 20 villes et villages adhèrent à ce mouvement, notamment Rimouski, Trois-Rivières, Val-David, Montréal, Saint-Élie-de-Caxton, Saint-Jérôme, Salaberry-de-Valleyfield, Victoriaville, Drummondville. Les IC s’inscrivent dans le mouvement mondial de la Transition qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Ce mouvement rassemble des citoyens qui veulent agir localement pour répondre aux défis majeurs de notre époque, notamment le pic pétrolier, les changements climatiques, l’érosion de la biodiversité, ainsi que les crises économiques, financières et sociales systémiques. Ces citoyens favorisent une culture de solidarité qui prend soin de l’individu, du groupe et de la nature. Ils se réapproprient l’économie, stimulent l’entrepreneuriat, imaginent de nouvelles façons d’organiser le travail, acquièrent de nouvelles compétences et créent des liens de solidarité et de soutien.
Loin d’être accepté et compris partout!
Je ne parviens pas à faire accepter les IC par ma municipalité et encore moins à obtenir cet espace que je trouvais parfait pour y planter des légumes. Les élus voulaient tout contrôler et surveiller et ont fini par couper les ponts avec notre petit groupe, notre « tribu ». Toute tentative de vitaliser notre ville est d’ailleurs rapidement sapée. Même circuler en vélo est quasiment impossible, car trop dangereux.
Je crois que cela provient d’un manque de compréhension et de connaissances, chez bien des gens, et des municipalités aussi, de ce que sont réellement les IC et la Transition.
Bien que désespérés, nous avons décidé de poursuivre l’aventure, coûte que coûte, sans aide et à notre façon. Nous voulons vraiment contribuer à créer ce monde meilleur et résilient auquel nous rêvons toutes et tous.
À suivre : Val-David, un village « nourricier »