C’est si délicat de parler de ses deuils, c’est prendre le risque que nous soyons jugés, de sembler lourds, de déranger. L’énergie du deuil n’est jamais attrayante, elle est plutôt lourde et embarrassante. Ça prend toute la place en dedans, du déjeuner au souper… du dessert au lever. Ça envahit et ça atrophie… ça exaspère.
Mais à 18 ans, j’aurais tant aimé savoir que mes incohérences étaient normales… mes masques, mes attitudes, mes réactions aussi. Longtemps, je me suis cachée pour exprimer la peur et la tristesse qui m’envahissaient.
Je désire donc assumer mon histoire et remettre les pendules à l’heure, mais plus que tout, donner l’espoir à des jeunes qui comme moi, sont devenus orphelins, à l’âge de la connaissance de soi; à l’âge où la recherche inconsciente de nos modèles est omniprésente; à l’âge où l’attachement prend un nouveau sens!
Le deuil. Il transforme parfois la tête en maison hantée remplie de peurs, d’inconfort… plus d’ombres que de lumière y entrent. Cette maison on ne veut pas s’en approcher, mais on n’a pas de choix… c’est elle qui nous habite.
Mon intérieur… une terre étrangère
1995, la planète cesse de tourner, après tous ces deuils, toutes ces pertes, que reste-t-il de moi?
Pour faire suite à mon nouveau rôle d’orpheline, et me sentant envahie par le sentiment d’imposteur, serai-je une orpheline à la hauteur?
On a commencé à me dire… tu es si forte de traverser tout cela…
Moi je savais très bien, sans rien dire, que cette force que l’on me reconnaissait était celle qui, en moi, retenait un lion en cage. Elle retenait le lion; non par peur qu’il me mange, mais plutôt par peur qu’il m’abandonne lui aussi.
On disait de moi… tu es si bonne et généreuse…
Alors que j’essayais de me retrouver à travers l’aide aux autres. Je voulais être aimée, ou plutôt ne pas être rejetée. Je tentais de mener à bien la vie des autres, ne croyant pas en la possibilité de récupérer ce qui restait de la mienne.
On me répétait… tu es si sage et équilibrée…
Pourtant moi, je me sentais comme une funambule sur un fil de fer entre les 2 tours jumelles, je quittais l’effondrement de la première en attendant l’affaissement de l’autre. Même les yeux fermés ce vertige m’habitait, en fait, ce vertige venait de l’intérieur.
On me disait… tu es responsable, mature, tu m’impressionnes…
Comment pouvais-je prendre la chance de décevoir? Alors qu’au fond de mon cœur, une petite fille, sans confiance, les lulus trop serrées, ne rêvait que de se faire couver, en cuillère avec sa poupée.
On me croyait loyale…
Et c’est ce que j’étais… à m’en étouffer! La loyauté était telle une prison dorée. Prise dans des principes et des croyances qui demandent à être changés, que la vie pousse à revisiter, moi, je me suis accrochée. Derrière cette façade de fille en contrôle se dissimulait une façon de ne pas changer mon univers, et d’inviter fortement les autres à faire de même, afin que plus rien ne bouge.
Toi qui as gravité autour de moi… j’ai envie de t’avouer…
Tu es peut-être l’ami(e) à qui j’ai répété tant de fois, tel un automate « Je suis toute seule au monde… » Alors qu’au fond, peu de gens avaient ma chance d’avoir tant d’amis(e)s, à qui répéter… « Je suis toute seule au monde ».
Tu es peut-être l’amoureux que j’ai quitté brusquement. Pendant que tu ne comprenais rien, que tu étais sous le choc, moi je pleurais l’abandon que je fuyais tant et que j’avais finalement provoqué. Je semblais détachée, assumée. J’étais plutôt intimidée et apeurée. Toutes les fois, je n’ai fait que choisir entre toi et moi!
Tu es peut-être la personne qui a tant voulu m’aider et me donner. Alors que tout mon corps criait à l’insulte si on osait m’aider et se pencher vers moi. Au fond, j’espérais de tout mon être qu’on m’oblige à recevoir, malgré ma contorsion. Car on ne m’avait pas appris à accepter, sauf en cas de faiblesse. Mais ce qu’on ne disait pas c’est que cette faiblesse rendait muette.
J’ai dit oui à beaucoup… répondu non à peu. Tu me pensais efficace, alors que je ne voulais qu’être indispensable. Tu me disais souriante… En fait, j’étais un clown triste et je m’entraînais intensivement pour le bonheur.
Pour guérir, il est important de…
Comprendre qu’à cet âge, le deuil est un labyrinthe, dans lequel nous sommes appelés à développer notre identité, tel un sens de l’orientation. Comprendre que cette traversée transformera notre manière de s’attacher aux gens. Accepter l’injection de lucidité reliée à la possibilité de perdre à tout moment.
Apprivoiser ce nouveau regard qui permet d’apprécier ce que l’on a, au détriment de ce que l’on a plus. Apprécier l’urgence de vivre, comme un nouveau groupe sanguin qui coule dans nos veines.
À se sentir si désorientée, il est certain que l’on perd le Nord. Et qu’on perd la carte aussi! Le deuil n’est pas une destination, c’est un état à dépasser. Passez go et réclamez 200 $!
Cette petite Karine se pointe encore, parfois, même à 40 ans! Maintenant, je lui sers un chocolat chaud, plutôt que de lui botter les fesses. Je desserre ses lulus, je lui fais un clin d’œil et je la remercie. Aujourd’hui, je découvre que derrière ses deuils se trouvait une grande fierté.
Le passage de ceux et celles qui croisent notre route dans de telles périodes n’est jamais banal. Chaque semence dans ces moments portera des fruits. Au cœur de ma propre gratitude, mes proches ont été inconsciemment mes enseignants, mes mentors, mes modèles, desquels je me réfère, afin d’accompagner à mon tour, chacun de mes clients avec humilité et amour!